Je peux bien m’imaginer que les habitants de Kaboul vivent constamment l’horreur. Le nombre des attentats a augmenté, personne est sûr de revenir chez soi en bonne santé. La perspective d’atterrir dans un cercueil rend littéralement les gens malades. Peut-on vraiment lutter contre la peur ? Il y a ceux qui la bravent en s’efforçant de montrer de la bonne humeur, de faire comme si de rien n’était. Il y en a d’autres qui se mettent volontairement en quarantaine et qui se barricadent, comme s’ils étaient en état de siège. Je pense que cela est le cas, que ce soit en Syrie, en Irak ou ailleurs. Mais il y a d’autres formes de peur, comme celle d’échouer, d’être soumis à un harcèlement psychologique ou celle de perdre son emploi. La peur fait de grands ravages, elle freine les initiatives. Elle est aussi un moyen de mettre les gens sous pression, un outil efficace pour les faire chanter. Le fait est qu’elle rend les personnes labiles malades. Ses effets pervers se font sentir dans nombre de maladies. Elles ont aussi droit au chapitre, lorsqu’il s’agit de cancer. Que faire ? Je pense qu’il faut apprendre à l’accepter, comme ce que je fais au sujet de la douleur. Vouloir dissuader les uns et les autres qu’elle représente un grand danger, ce serait absolument négatif. On ne peut pas tout simplement chasser les démons en disant haut et fort qu’ils n’existent pas. Ils sont omniprésents que nous le voulions ou non.

Vouloir nier l’évidence ne conduit pas plus loin. L’accepter de plein front n’est pas non plus une situation miracle. Je voudrais prendre pour exemple, des soldats qui reviennent de missions, où la guerre sévit. Pour certains ils sont mentalement atteints et deviennent ainsi des cas psychiatriques. Il leur arrive de devenir violent, car les souvenirs les assaillent jour et nuit. Ils voient l’ennemi partout. Ils n’arrivent plus à vivre le couple et la famille d’une manière normale. Ils manquent de patience avec leurs enfants. Dans bien des cas cela aboutit à de la violence dans les quatre murs, ce qui finalement a pour conséquence le divorce. « Je vous assure, je crois avoir affaire à un étranger. Mon mari était avant l’Afghanistan un homme équilibré, un roc ! » Dans bien des interviews on entend de telles remarques de la part des épouses et des mères de famille, qui ne savent plus, où elles en sont. C’est là que peut aboutir la peur. Une fois qu’elle s’est incrustée en soi, il est presque impossible de l’extirper. J’ai souvent tourné dans le milieu psychiatrique et ai rencontré des malades qui voyaient partout des ennemis, des êtres qui leur voulaient du mal. Il y a bien des médicaments qui ont la qualité de déclencher la bonne humeur, mais leur effet est de courte durée. Sans une psychothérapie rien ne se fera par rapport aux causes. Et là aussi il ne suffit pas d’avoir découvert la raison. Lorsque mon père avait l’impression qu’on voulait l’éliminer physiquement, on avait beau lui dire que ce n’était pas le cas, il se mit en colère, parce qu’il avait l’impression qu’on ne le prenait pas au sérieux. Ce n’est pas avec de bonnes paroles qu’on changera quoi que ce soit. Je crois que la peur est pratiquement invincible, car elle implique toujours la mort, qui est un fait réel. Personne ne peut s’en départir. Elle est tout à fait réaliste et ceci la rend si étrange.

pm

http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/03/28/a-kaboul-on-sent-nos-vies-retrecir-on-s-emmure_5277287_3216.html

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