Le putsch en Turquie a été déjoué. Recep Tayyip Erdogan en sort renforcé. Le premier ministre Binali Yildirim l’avait déjà annoncé au cours de la soirée du vendredi, peu avant minuit. L’idée du président de faire appel au peuple pour occuper les rues a été prometteuse et a démontré quel soutien populaire il a. Des citoyens étaient prêts de se sacrifier pour lui, ce qui lui confère une puissance considérable. Les démocraties occidentales ont condamné l’action d’une partie de l’armée et ont appelé au respect d’un scrutin populaire qui a conféré à AKP sa légitimité. C’était politiquement correct, mais cela n’empêchera pas pour autant une répression lourde de conséquences. Cela pourrait encore creuser plus un fossé existant entre les partisans d’Erdogan et les autres. Il est à craindre qu’il en profitera de régler des comptes à tous ceux qui ne le soutiennent pas. En premier plan les Kurdes seront dans le collimateur. De nouvelles lois pourraient étayer sa soif de pouvoir. Il n’y aurait qu’un pas à faire pour que l’absolutisme du président se renforce. Je n’irai pas encore aussi loin de parler de dictature, mais la tentation d’une prise de pouvoir encore plus restrictive ne peut pas être écartée. Le gouvernement peut compter au lendemain du putsch sur encore plus d’approbation. Il serait bon qu’Erdogan montre de la grandeur et essaie de rassembler au lieu de diviser. Mais si on en croit ce qu’il a dit, les officiers qui ont dirigé la rébellion doivent s’attendre au pire. Il ne fait aucun doute que l’héritage d’un État laïc sera remis en question, que les islamistes prendront de plus en plus d’ascendant.

Atatürk, le créateur de la Turquie moderne doit se retourner dans sa tombe. Il avait veillé que la religion et l’État soient deux entités bien séparées, comme c’est le cas en France. L’AKP du président remet tout cela en question. Dans le contexte actuel au Proche-Orient cela suscite bien des doutes. Jusqu’à présent l’EI condamne le régime d’Ankara et par ses attentats meurtriers prouve qu’il n’est aucunement enclin de soutenir Erdogan. Mais est-ce une politique définitive ? N’y aura-t-il pas de tentations de vouloir pacifier toute la région ? Plus le système se renforcera, plus les imams auront voix au chapitre. Il est à craindre qu’ils incitent le pays à rompre avec l’occident. Une situation qui aurait pour conséquence d’ouvrir les portes au fondamentalisme. Il ne peut à long terme qu’être de l’intérêt des fous de Dieu d’attirer la Turquie dans son giron. Pour l’instant cela ne se passe pas. Comme tout le monde le sait, l’actuel président avait dans le passé une certaine complaisance envers l’EI. Il a certes changé le fusil d’épaule, mais une chose est sûre : l’opportunisme le guidera s’il peut en récolter un profit. Dans une certaine mesure je remets en cause son intégrité politique. Tant qu’il pourra tirer avantages des acquis de l’Otan ou de son pacte avec les Américains, il se tiendra tranquille. Ses relations plus ou moins tendues avec l’UE ne présagent rien de bon. Il est pour l’instant de l’intérêt de tous de le ménager, même si les idées divergent diamétralement. Il est notre seul atout pour freiner l’esprit de vengeance de l’EI. Cela doit être la raison pour laquelle les dissidents ne pouvaient pas s’attendre à être soutenus.

pm

http://www.lemonde.fr/international/article/2016/07/15/turquie-le-premier-ministre-denonce-un-coup-d-etat_4970404_3210.html

Pierre Mathias

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