Des livres brûlent en Allemagne en 1933. Tous les auteurs maudis par les nazis sont concernés. Un autodafé qui a laissé des traces jusqu’à aujourd’hui. Une des raisons pour laquelle je me sens mal à l’aise lorsque la censure intervient. Dans le débat qui a lieu aujourd’hui au sujet de la nouvelle parution du « Mein Kampf » d‘ Adolf Hitler aux éditions Fayard, je peux très bien comprendre le malaise de Jean-Luc Mélenchon, je le partage même. Mais je suis d’avis qu’il était nécessaire de republier ce que je nommerais « ce torchon ». Ce sera le cas dans grand nombre de pays. Ce pamphlet appartient aujourd’hui au domaine public, l’auteur s’étant donné la mort il y a plus de 70 ans. Donc plus de droits d’auteur. D’un côté il y a le point de vue qu’il ne doit pas y avoir de demi-censure, de l’autre que des textes propageant la violence et le dédit ne peuvent pas être mis sur le marché. Lorsque j’ai tourné un film chez un éditeur à Berlin qui publiait des livres négationnistes interdits en France, il m’a dit dans une interview qu’il y aurait une entrave à la liberté de pensée si on agissait de même en Allemagne. Je suis le premier à trouver infâme de telles diatribes, mais de là à les interdire il y a un pas que je ne franchirais pas. Quelle est la raison de mon attitude ? Le fruit défendu éveille de la curiosité, ce qui dans ce cas est politiquement néfaste. De toute manière personne ne pourra convaincre un sympathisant nazi et antisémite que ce qui y est écrit n’est que mensonge, comme c’est le cas chez Robert Faurisson qui se dit apolitique. Mais laisser de telles propos dans la clandestinité serait plus dévastateur. Le débat qui s’en est suivi a scandalisé bien des lecteurs et a contribué à démontrer le mal-fondé de telles déclarations.
Revenons à « Mein Kampf ». Je l’ai lu en allemand il y a bien des années. Ce texte est franchement indigeste, non seulement à cause des thèses qu’il développe, mais aussi dans son style. C’est une projection déconcertante qui reproduit bien ce qui s’est passé ensuite. Je regrette que les intellectuels ne l’ont pas lu lorsqu’il en était encore temps. Il est pour les historiens déconcertant de constater, que tout ce qui était dit, à d’une manière ou d’une autre eu lieu. L’historien américain Timothy Snyder a fait une relecture et a constaté que presque tout partait de la peur que le Reich n’ait pas l’espace vital pour assurer sa suprématie. C’est la négation de la démocratie sous toutes ses formes, qui aux yeux du Führer est une perfidie de l’internationale juive. Son but, continuer à mettre à genoux les valeureux allemands. C’est évidemment une réaction contre le traité de Versailles, réclamant des réparations insupportables à un pays ruiné. Tout le génocide repose sur le principe de s’approprier des terres en vidant de leur substance et de leur populations les régions occupées, comme la Pologne ou l’Ukraine. Peut-être que ce qui allait se passer ensuite dans les camps d’extermination, ne figure pas dans « Mein Kampf », mais la volonté d’arriver à une solution y est décrite. Que ce soit un exil forcé ou une élimination vitale. Dans un tel contexte il serait bon qu’on en revienne aux sources. Certes d’une manière accompagnée. Est-ce de l’eau sur le moulin de l’extrême-droite ? À voir !
pm
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