« »Bonjour Monsieur, Pierre Mathias de la télévision allemande. J’aimerais… » C’était en en automne 1985, la date exacte je l’ai oubliée. Avant de partir de Munich pour me rendre dans la région lyonnaise, pour y interviewer une bonne connaissance, Charles Hernu, j’ai décidé de téléphoner à Monsieur Bocuse pour lui demander, s’il pouvait me recevoir à Collonges-au-Mont d’or dans son restaurant. Je lui expliquai que je voulais tourner un reportage sur le bien-être et les nouvelles technologies. Mon but était de trouver des liens entre le génie français et la joie de vivre. Il accepta tout de suite et m’invita, lui et mon équipe, à venir dîner chez lui. Pour moi Bocuse, qui vient de mourir à l’âge de 91 ans, incarnait les deux éléments essentiels qui caractérisent la France. D’une part une créativité extraordinaire, qui lui permit de révolutionner la gastronomie mondiale, de l’autre un grand attachement à son terroir, qu’était le département du Rhône. Il était à la fois un grand artiste et un homme d’action. Après avoir dégusté le grand menu, qui était plus qu’un délice, un élément essentiel du patrimoine mondial, j’eus l’occasion de lui poser quelques questions. Il me fit comprendre, que le progrès ne devait en aucun cas altérer le style de vie des Français. Il y vit, et dans ce cas bien précis, une grande chance pour le pays. Sans réussir à faire le joint entre le passé et le future, il y aurait en quelque sorte une espèce de mutilation, qui causerait un tort considérable à la nation toute entière. « Ce que les gens veulent ici et ailleurs, c’est que les techniques modernes aillent de paire avec l’âme d’un pays. » C’était le message qu’il voulait faire passer et qui démontre à quel point il était en avance sur son époque. Il était d’avis qu’il était tout à fait compatible de joindre ces deux notions. Il l‘a démontré dans sa cuisine.
En se réinventant, il a donner à ses concitoyens le courage de tenter l’impossible. D’une part un grand respect des traditions, de l’autre le sentiment de devoir les mettre au diapason par rapport à l’heure actuelle. Je souhaiterais que dans les hommages en son souvenir, cet aspect de sa personnalité soit mis en avant. Pour que la France retrouve aujourd’hui sa propre personnalité, elle devrait prendre exemple sur Monsieur Bocuse, qui au demeurant est un des Français les plus connus à l’étranger. Avoir le courage de faire un grand saut en avant, sans pour autant se renier soi-même, ce qui a été trop le cas ces dernières années. Au lieu de créer des automobiles ayant quelque chose de particulier, comme la Déesse par exemple, on s’est mis à produire « du compatible ». C’était le retour dans une sorte de médiocrité. Les voitures ne détonnaient plus dans le cadre de cette industrie, mais elles propageaient l’ennui. Il n’est pas étonnant qu’il y eut de la régression. Si cette branche ne se lance plus dans la fantaisie, elle aurait du mal à subsister. Qui achète un véhicule français, voudrait y voir ce petit brin de folie. Bocuse a réussi à faire le lien entre une qualité exemplaire et le courage de vouloir créer, peu importe les dangers que cela pouvaient amener. Je m’incline devant ce grand homme qui depuis la périphérie de Lyon a su être l’ambassadeur de ce qui rend la France si attachante.
pm