Céline provoque chez moi des sentiments contradictoires. D’un côté l’écrivain génial, que je considère comme étant l’un des plus importants de la littérature française du 20ème siècle, de l’autre le délateur qui n’a pas hésité de faire envoyer ainsi des gens aux camps de la mort. Charles de Gaulle, qui aurait dû approuver sa peine de mort, l’a sauvé de la guillotine. Contrairement à d’autres collaborateurs qui furent exécutés, Céline fut gracié, bien qu’il ait été un des plus abjectes criminels. Toute la question qui se pose pour moi, est de savoir si on peut dissocier une œuvre d’un comportement humain. Dans ce contexte particulier il y a deux démarches différentes. Il y a des livres comme « Le voyage au bout de la nuit », où l’aspect comportemental de l’écrivain n’est pas aussi marqué que les pamphlets immondes contre les juifs qui ont été écrits pendant l’occupation. Ici l’homme émerge avec une grande clarté. Il n’y a là pas de dualité comme c’est le cas dans son récit « D’un château l’autre » où il décrit d’une manière magistrale l’exode du gouvernement de Vichy à Sigmaringen en Allemagne du Sud à la fin de la guerre. Les traîtres à la patrie regroupés autour de Philippe Pétain mènent pendant quelques mois l’existence d’un régime en exil. Ce portrait dévastateur reproduit d’une manière impressionnante le déclin, le déni et la décadence de certaines personnes qui se prenaient pour des penseurs. Une perversion de l’âme, déchirée entre la volonté de briller et une autre réalité qui est celle de larbins qui se sont prêtés à la violence pour satisfaire leur avidité de pouvoir en se mettant à la solde de l’ennemi. Céline y est sans pitié. Nous nous trouvons dans une opérette macabre qui reflète d’une manière acide ce que l’homme peut devenir, s’il vend son âme. Force est de penser au Faust de Goethe qui l’a fait dans l’espoir de se réaliser.
La question que je me pose depuis longtemps est de savoir si on peut dissocier ses publications de sa personnalité ?. Le grand philosophe Martin Heidegger s’est aussi retrouvé sur le terrain mouvant de l’opportunisme. Dans un document qu’on a trouvé après sa mort, il a des propos franchement antisémites et ceci malgré les liens qui l’unissaient à Hannah Arendt. Une fois de plus une situation complètement anachronique. Et tout cela pour ne pas être chassé de sa chaire ? Tout comme avec Céline, il est difficile de juger ce qui s’est vraiment passé dans la tête de Marin Heidegger. A-t-il agi seulement par couardise ? Il aurait pu s’exiler et exprimer ainsi son opposition aux Nazis. Il ne l’a pas fait. Peut-être est-il possible de parler de schizophrénie. Comment était-il possible que le rebelle qu’était Louis-Ferdinand Céline puisse lécher les bottes des conformistes bourgeois qu’étaient les paladins d’Adolf Hitler ? Deux mondes complètement différents. Celui d’un conformisme malsain et celui d’un écorché vif ? Peut-être ce qui exerce chez de telles personnes de tels comportements, c’est le crépuscule des Dieux, l’esprit autodestructeur qui ne peut que mener au suicide ? Sûrement pas la démarche de Heidegger mais probablement celle de Céline. En quelque sorte de la roulette russe ! Je n’arrêterai pas à me poser des questions à son sujet et je le trouve d’une grande actualité.
pm