Depuis longtemps je me pose la question ce qui peut amener des jeunes gens à se faire sauter au nom d’une idéologie. Qu’ils soient manipulés est évident, mais je ne pense pas que cela suffit pour mettre fin à ses jours. Le fanatisme est un poison, mais il ne peut pas croître sans raisons psychologiques et sociologiques. Il s’agit là d’un sacrifice ultime. D’essayer de se mettre dans la peau de ces terroristes est presque impossible. Mais il doit y avoir des faits objectifs pour amener un individu à une telle décision. Je pense qu’il faudrait analyser encore bien plus des événements paraissant peut-être anodins par rapport au mal que ces désespérés peuvent occasionner. Comme je le répète depuis que je fais des films dans les banlieues, seule la situation sociale des familles ne peut pas tout expliquer. Il faut se plonger dans les mentalités, qui par l’exil ont assez évolué. Un des points essentiels est la chute de l’aura du patriarche. Le père joue dans la société orientale un rôle de taille. Tout tourne autour de lui. Il est garant de la tradition, donne la direction à prendre à sa ou ses femmes et à ses enfants, est une autorité morale. C’est lui qui se charge des moyens matériels, leur permettant de survivre. Dans la société occidentale son autorité est remise en question au profit de l’individualité de chacun. Dans de tels clans, cette manière d’évoluer remet tout en question. Lorsque la déchéance sociale s’ensuit, il n’y a plus que du désordre. Les fils en particuliers se révoltent et se croient obligés de subvenir aux besoins de la famille, que le chef ne peut plus assumer. Peu importe les moyens. La vente de stupéfiants en est un, le vol à la tire ou des agressions multiples, en sont d’autres.

La déchéance mentale est inéluctable. Elle prend des dimensions dangereuses s’il n’y a pas d’aide extérieure. Le suivi psychologique fait cruellement défaut. Lorsque un père n’a plus d’autorité, les enfants sont livrés à eux-même. Vient s’impliquer en plus le phénomène identitaire. La perspective d’être un citoyen de deuxième classe provoque de la colère et un esprit de vengeance. Des prédicateurs peu scrupuleux voient quel capital ils peuvent tirer d’une jeunesse aussi déstabilisée. Avec les moyens de la religion, ils tentent tout pour donner à ces personnes allant à la dérive une structure stricte, qui ressemblerait à ce qu’avait été leur société avant le grand départ de leur terres d’origines. Aussi erroné que cela puisse paraître, la plupart des candidats à la mort volontaire sont à la recherche d’une autorité, d’un guide auquel ils peuvent se fier. Ils ont aussi un cruel besoin de croyance, aussi absurde que cela puisse paraître. Ils veulent se racheter en se vouant corps et âme à Allah. C’est dans cet acte de soumission qu’il faut voir une cause essentielle de ces dérives criminelles, qui pour eux ne le sont pas. Ce qui compte avant tout c’est de faire acte de soumission, d’accepter la mort afin de se purifier. On parle peu du désespoir dont ils sont atteints, du manque de perspectives. C’est peut-être même la soif de rédemption qui les amènent à faire couler du sang. Si on veut combattre à long terme le terrorisme, il faut prendre en compte les angoisses dont ils sont atteints. Parler seulement de fanatisme et de manipulation ne me satisfait pas.

pm

http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/visuel/2015/11/18/attentats-du-13-novembre-a-paris-ce-que-l-on-sait-des-assaillants_4812375_4355770.html

Pierre Mathias

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