J’ai tourné il y a bien des années un reportage dans une salle de shoot à Berne. C’était une des premières en Europe. Des junkies, où le programme de la méthadone avait échoué, étaient « ravitaillés » avec de l’héroïne. Des individus qui ne se remettraient jamais, qui se dirigeraient inexorablement vers la mort. Le but était de les éloigner de la rue, de leur éviter de courir constamment après des dealers, de commettre des infractions ou d’autres délits pour se payer la drogue. Certains d’entre-eux étaient en mesure de travailler. Tout d’abord j’avais émis des doutes, prétendant que ce n’était pas du devoir de l’État de se substituer aux marchands de la mort ! Il est évidant qu’une telle démarche pouvait réduire la délinquance. Le but était de rassurer les citoyens. Bien après la volonté d’atténuer les souffrances des malades. Mais très vite je me suis aperçu que les salles de shoot, à condition que les règles y soient respectées, pouvaient avoir un effet positif. C’était un garde-fou assez efficace en ce qui concerne la prévention. L’attrait du fruit défendu était balayé. Mais que s’est-il passé dans les faits ? L’aspect extérieur du deal avait-il encore raison d’être ? Les proximités des gares seraient-elles sécurisées ? C’était une illusion de croire que seul une distribution limitée de l‘ héroïne pouvait atténuer la criminalité.

Pour que cela puisse réussir, il faudrait faire en sorte que le commerce soit caduque. Cela consisterait à rendre la vente libre partout dans le monde. Mais est-ce compatible avec l’éthique de notre société ? Les États n’ont-ils pas le devoir de protéger leurs citoyens ? Des questions dont les réponses ne peuvent qu’être insatisfaisantes car elles sont idéologiques. Voulons-nous avoir la paix en sacrifiant des êtres labiles ? Je ne pense que cela n’est pas possible, même si cela arrange certains bourgeois. Il serait erroné de croire que quelques salles de shoot puissent inverser la vapeur. À Berne, tous ceux qu profitent d’une distribution gratuite, sont peu nombreux. Ces derniers sont soumis constamment à des contrôles médicaux. Ils ne peuvent que se piquer sur ordonnance. Il y a des junkies qui grâce à ces mesures ont pu tourner le dos à la drogue. Mais c’est un infime minorité parmi les bénéficiaires. Ne voyant pas d’autres alternatives satisfaisantes à ces mesures, je les soutiens, mais en ayant un arrière-goût amer. Que l’on veuille ou non elles sont discriminatoires parce ce qu’elles sont très limitées. Qui a le droit de donner le feu vert ? N’y a-t-il pas danger que cela soit fait d’une manière sélective ? Tant qu’il y aura un tel fossé social, la lutte antidrogue ne peut pas avoir de succès. Chez la plupart des malades, c’est la peur d’un avenir incertain qui les pousse à se procurer et à consommer des stupéfiants afin d’oublier. Le stress auquel nous sommes soumis est du poison. Si la distribution sur ordonnance des drogues n’a que pour but de nous procurer une certaine quiétude, je la met en question. Pénaliser les junkies est une fausse solution. Il faudrait rendre la vie en général plus supportable, faire en sorte que tous ceux qui sont faibles, puissent s’épanouir d’une autre manière que de mourir à petit feu en croyant avoir trouvé le nirvana. C’est la raison pour laquelle je voudrais que la société assouplisse la vie quotidienne, qu’elle impose moins de contraintes, qu’elle encourage l’épanouissement individuel. Pierre, tu rêves !

pm

http://www.lemonde.fr/sante/article/2015/09/17/le-senat-valide-l-experimentation-des-salles-de-shoot_4761608_1651302.html

Pierre Mathias

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