Thibaut Pinot a dû abandonner le tour de France hier, car il était blessé. Il était désespéré est ses larmes ont marqué toute l’actualité du jour. « J’ai pris un petit coup à l’arrivée à Nîmes (mardi), mais je ne suis pas sûr que ce soit ça. Je me suis toujours battu, j’y croyais. J’avais toujours espéré avoir cette petite part de chance, je sentais depuis dimanche, après les Pyrénées, que j’étais capable de le faire. Mais on ne le saura jamais. Cela va prendre du temps… » Une étape folle qui a dû être arrêtée au sommet de l’Iseran pour cause de grêle et de coulées de boue sur la route conduisant à Tignes. Le Colombien Egan Bernal est le grand vainqueur et a pu ravir le maillot jaune à Julian Alaphilippe. Pour les participants français au tour, une journée noire. Ce qui s’est passé hier va jusqu’à la limite de ce que peut apporter un être humain dans le cadre de ses efforts physiques et mentaux. On peut se poser la question quel sens il faut donner à une telle torture. Est-ce un exploit ou de la démence ? Je dirai les deux. Il faut peut-être avoir le courage de défier la vie, lui donner ses lettres de noblesse en se surpassant. Mais est-ce légitime dans une grande boucle qui se voue avant tout au commerce ? Où tout n’est que mercantilisme ? Cela fait bien réfléchir, mais malgré mes doutes, la fascination qu’exerce le cyclisme professionnel, malgré tous mes doutes, restera ancrée en moi. Ce qui est demandé aux coureurs est à la limite du possible, ce qui peut être néfaste pour leur santé. Pour moi la torture à laquelle sont soumis les hommes du peloton est une question d’éthique. Il faut qu’ils soient constamment sur le vif, qu’ils profitent de la moindre occasion pour s’échapper.

Lorsque une étape est gagnée en solitaire, il faut se mettre dans la peau du vainqueur qui ne peut que se fier à lui-même. Pas d’équipiers pour le soutenir. Quelle force mentale faut-il avoir pour mener à bien une telle prouesse. Je pense aussi à l’arrière de la course, où la voiture-balai est une menace constante pour les derniers. Il leur en va de tenir le coup jusqu’aux Champs Élysées, de ne pas céder au découragement, de ne pouvoir qu’assumer avec un effort surhumain les affres de l’humiliation. Ce sont pour moi les vrais héros du tour, car ils n’ont plus guère de motivation de persévérer. L’échec leur colle aux jambes. J’essaie de traduire cette douleur dans l’existence et aimerait la citer en exemple pour tous ceux qui sont prêts à vouloir jeter l’éponge. Le sport nous donne là une marche à suivre. Malheureusement elle est souvent faussée par l’appât du gain. Les cyclistes du tour de France gagnent leur vie en pratiquant l’impossible. Ils sont soumis en dehors de l’aspect sportif, à des doutes au sujet du doping. Il est comparable à une épée de Damoclès qui a tout moment peut s’abattre sur eux. Et lorsque l’un d’eux gagne, il est toujours soupçonné. Non, ce n’est pas une vie en or, loin de là. On peut se poser la question de savoir ce qui amène certains hommes ou femmes d’aller au-delà des limites de leurs forces ? Est-ce une manière de se prouver, qu’il faut tenir compte de leurs efforts, qu’ils ont le pouvoir de les revaloriser. Les tortures du tour sont celles que certains patrons exigent de leurs collaborateurs. En fait un esclavage qui a pour but de les mener à la trique. Si c’est cela notre société, je n’en veux pas !

pm

https://www.lemonde.fr/sport/article/2019/07/26/tour-de-france-2019-le-reve-brise-de-thibaut-pinot_5493854_3242.html

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