« Il faut manger ce qu’il y a sur ton assiette ! ». Je ne sais pas combien de fois j’ai entendu cette remarque de ma mère. C’était peu de temps après la fin de la seconde guerre mondiale, une époque où les gens n’avaient pas à manger à leur faim. Donc un réflexe compréhensible pour une personne qui avait connu la disette, comme c’était le cas de maman. Aujourd’hui les nutritionnistes disent avec raison qu’il ne faut jamais exiger des enfants qu’ils mangent lorsqu’ils n’ont plus faim. Cela peut les rendre obèses, comme cela a été un peu le cas pour moi. C’est aussi une incitation au gaspillage. Comme c’est moi qui suit aujourd’hui le préposé aux repas, il faut que je me force de ne pas acheter trop. Les enfants prématurés, dont je fais partie, ont la tendance de manger trop, comme s’ils avaient peur de ne pas avoir assez de nourriture pour grandir. Ce phénomène est connu, la raison pour laquelle les pédiatres font très attention aux quantités qu’on leur donne. La première règle que je m’impose encore aujourd’hui, est d’aller faire mes emplettes chaque jour et d’acheter strictement ce dont Monique et moi avons besoin. Mais je n’arrive pas, malgré mon âge, à jauger les bonnes quantités. En règle générale cela aboutit au gaspillage. Pas plus tard qu’aujourd’hui j’ai dû jeter du lard, ce qui au point du vue déontologique ne m’a pas plu. J’ai beau me dire que des milliers d’enfants vont à l’école sans avoir pu prendre un petit-déjeuner, par manque de moyens, je n’arrive pas à me freiner lorsque je suis devant un étalage. Pour un homme qui s’élève contre les injustices, pas une attitude très glorieuse.

Où veux-je en arriver ? Je pars du principe que le comportement d’un adulte est marqué par sa petite-enfance, que tout s’apprend à partir de là. Pour arriver à plus de respect des aliments, on ne peut qu’inculquer un certain comportement à un gosse, en lui conférant un certain rythme de vie. Il ne s’agit pas de faire de la morale, de lui imposer des interdits. Pour la nourriture ce n’est que dans l’action qu’on peut obtenir quelque chose. Lorsque la mère lui donne de petites portions, elle incite son enfant à équilibrer les quantités. Lorsqu’il a encore faim, il suffit de lui redonner des aliments. Le deuxième principe est d’équilibrer les menus, de bien veiller que chaque denrées nécessaires soient sur son assiette. Vouloir corriger pas la suite de telles erreurs pédagogiques, est comme je peux m’en apercevoir chez moi, du domaine de l’impossible. Pour essayer de maigrir un peu, j’ai toujours eu recours aux régimes alimentaires, qui ne sont en règle générale pas pérennes. Le mental n’arrive tout simplement pas à s’adapter aux règles nouvelles, à moins de s’imposer des mesures draconiennes, qui perturbent la joie de vivre. J’ai pendant une demi-année participé à un séminaire de nutrition à l’université, qui au bout du compte était voué à l’échec, car il perturba complètement mon côté ludique. Il faisait obstruction à une certaine démesure qui fait partie de mon caractère. Cela freina ma créativité. Vous me direz que c’est une lubie de ma part, mais pour développer la fantaisie dont j’ai besoin, je ne pouvais pas me retenir constamment. Il y aura du gaspillage, tant qu’on ne tiendra pas compte de ces divers facteurs. Jeter l’anathème n’apporte rien, pas non plus à la société!

pm

http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/10/16/gaspillage-41-2-tonnes-de-nourriture-jetees-chaque-seconde-dans-le-monde_5201728_4355770.html

Pierre Mathias

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