Non, je ne peux pas accepter la récupération politique des émeutes de Bobigny. Toutes les formations portent une grande responsabilité en ce qui concerne l’état des banlieues. Depuis le début des années soixante, lorsque d’innombrables personnes venant avant tout d’Afrique du Nord pour venir travailler chez nous, il n’y avait qu’un seul plan, celui d’ériger des cités-dortoirs. Pendant des années j’y ai tourné, de Marseille à l’île de France en passant par Strasbourg et Lille. Partout le même schéma qui ne pouvait que mener à l’échec d’une politique d’intégration. Qu’on se le dise, tant qu’il y aura des ghettos rien ne changera. Même pas un État policier. L’exemple de la Turquie devrait faire réfléchir où il n’a pas été jusqu’à ce jour possible d’enrayer le terrorisme. De croire que Marine Le Pen, François Fillon ou quelqu’un d’autre pourront faire des miracles me semble assez illusoire. Le grand problème réside dans le fait qu’il faut se réinventer. Aujourd’hui une majorité d’habitants possèdent le passeport français et ont les mêmes droits et devoirs qu’un breton, qu’un auvergnat ou qu’un savoyard. Ce qu’il faudrait faire pour dédramatiser la situation, ce serait de répartir sur tout le territoire national ces populations. C’est évidemment impossible à réaliser, car cela serait dans les faits une déportation de masse. Le départ des cités ne peut qu’être volontaire et réclame des conditions adéquates pour le faire. Je pense en premier lieu aux jeunes. Ces derniers devraient jouir d’une bonne formation scolaire et professionnelle afin de pouvoir survivre par leurs propres moyens. Ils devraient avoir accès à toutes les professions, sans être discriminés à cause de leur couleur de peau ou leur religion. Il y a eu bien des efforts de faits, mais ce n’était de loin pas assez. Tant qu’ils ne sont pas les bienvenus ailleurs, il est impossible de concevoir à moyen terme un tel programme.

Il en va autrement pour les enfants. Tant que les classes ne seront pas plus multiculturelles – je pense à la présence de gosses originaires de France – le rejet sera de mise, tant du point de vue culturel que social. J’ai tourné à Bobigny dans une collège et j’ai pu constater quels progrès des jeunes pouvaient faire s’ils sont motivés et pris au sérieux. Une de mes nièces enseigne dans un quartier chaud et obtient de bon résultats parce qu’elle s’intéresse à eux et leur témoigne de la sympathie. Il y a une multitude de telles exemples, mais on ne veut pas en parler parce qu’ils ne font pas la une. Je reproche à certains de mes collègues d’abonder dans ce sens. Mais ne soyons pas naïfs. Le mal des banlieues existe, s’étend de plus en plus. Et c’est là qu’il faut investir ! J’entends mentalement les cris de colère que de telles décisions de la part d’un ministre des finances provoqueraient ! Ce n’est qu’à long terme que quelque chose peut changer, mais aucun politicien imbu de lui-même envisagerait de le faire. Il veut des résultats le plus rapidement possible. Pardonnez-moi pour ce que je vais vous dire. Bobigny ne se trouve pas loin de Drancy. C’est là que les juifs étaient emprisonnés par la milice avant d’être déportés dans les camps de la mort. Parfois j’ai l’impression que certaines personnes y verraient une solution finale pour tous ceux qui ne sont pas les bienvenus ! Je crains qu’on puisse en arriver-là !

pm

http://tempsreel.nouvelobs.com/presidentielle-2017/20170213.OBS5231/l-affaire-theo-et-les-debordements-s-invite-dans-la-campagne-presidentielle.html

Pierre Mathias

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