La mise sous tutelle du quotidien d’opposition Zaman en Turquie, est un scandale pour tous démocrates. La police a utilisé des gaz lacrymogènes en attaquant le siège de ce quotidien. Dans un communiqué, la commission européenne a rappelé les principes qui la guident : « Tout pays, et en particulier ceux qui négocient l’accession à l’UE, se doit de garantir des droits fondamentaux, y compris la liberté d’expression, et les procédures judiciaires régulières, conformément à la Convention européenne des droits de l’homme » . Une position d’une grande clarté ! Et ceci peu avant les négociations qui doivent se dérouler entre l’UE et la Turquie concernant les réfugiés. C’est la démonstration éclatante que Recep Tayyid Erdoğan n’est pas prêt à accepter les conditions fondamentales pour faire accéder son pays à l’Europe des 28. En tant que journaliste je considère la liberté de la presse comme étant la pierre fondamentale de la libre expression de chacun d’entre-nous. En s’attaquant à ce principe, tous gouvernements enclins à le faire, restreint le libre-arbitre de ses citoyens. C’est la porte ouverte à un système autoritaire, comme nous le connaissons aujourd’hui du côté du Bosphore. En mettant sous les verrous des journalistes récalcitrants, le gouvernement turc se désavoue. C’est un signe d’impuissance, il devrait le savoir. C’est d’autant plus regrettable que nous nous trouvons dans une époque où la lutte contre les rebelles kurdes prend des dimensions dépassant les règles des droits de l’homme. Une grande minorité de la population est discriminée parce qu’elle ne se plie pas aux préceptes d’un président plus ou moins autocrate. Je ne salue en aucune manière les attentats meurtriers commis par la PKK, mais aussi le manque de doigté de la part d’Ankara. La répression de la presse entre dans un tel cadre. En voulant étouffer toutes critiques, la politique se met à faux.
Mais ne nous leurrons pas, la censure est aussi à l‘œuvre sous nos latitudes, mais d’une manière plus feutrée. La mainmise du capital sur les organes de presse, rend toutes alternatives de plus en plus aléatoires. Comme il régit plus ou moins la presse, étant omniprésent dans des maisons d’éditions, que cela soit dans des périodiques de gauche ou de droite, il met sous tutelle les journalistes. Si l’avis d’un reporteur ne correspond pas à la ligne des actionnaires, il est renvoyé. Comme ce sont les mêmes cercles qui se sont appropriés de l’ensemble de la presse, il a pour ainsi dire aucune chance de retrouver du travail. L’épée de Damoclès du déclin social l’accompagne constamment. Avant de publier quoi que ce soit, il aura tendance à mettre de l’eau dans son vin. Il se soumet ainsi à un chantage insupportable, afin de ne pas sombrer dans la précarité. J’ai eu des collèges qui en agissant ainsi ont perdu leur âme. Lorsqu’on sait que de nager à contre-courant peut remettre en question la vie de toute une famille, grand nombre de journalistes se résignent à se laisser entraîner par le courant. Dans les conditions actuelles l’investigation est pour ainsi impossible pour tous ceux qui dépendent financièrement de leurs revenus professionnels. Un fait qui affaiblit considérablement la démocratie.
pm